Quand j'aime quelqu'un c'est inévitable, je me transforme en brute épaisse.
Après un certain temps d'intimité je deviens intraitable.
Abruti.
Bête comme mes pieds.
Ma blonde pourra vous le confirmer.
Ma famille aussi, si vous réussissez à leur parler.
Et mon fils aussi, bientôt, quand il aura compris que c'est pas juste de sa faute.
Je me souviens de la première fois où je suis tombé dans le piège des ravages du quotidien avec Douce.
J'avais faim.
Sur la plaza.
«Où est-ce qu'on va manger là?»
«grrrmmmlllmblblb, sais tu moué, côlisse... Grmblblbmm.»
«Eille chose, si t'es pour ête bête de même, dis moué lé tu suite, jvas t'arranger ça»
Fiston commence à me voir venir.
« Tu me chicanes tout temps papa...»
Je le vois venir aussi, avec ses ficelles mais c'est quand même pas une raison pour précipiter son entrée dans le hall des désillusionnés de Guillaume.
Il mange son maïs, deux-trois bouchées.
«Moi là papa, j'ai fini souper.»
Et il dépose son blé d'Inde en me regardant avec ce petit regard de "j'essaie d'être arrogant mais chu pas sûr comment faire faque je te fais ma face de défiant en attendant".
Il sort de table en me regardant.
Je suis dans la cuisine, j'ai même pas fini de faire à souper. Pour ce que ça peut donner...
Je sens clairement le moment arriver. Celui où non seulement je me permet d'être plus méchant mais surtout le moment où je me met à apprécier d'être plus bête...
Comme si ça me rendait moins lâche, moins mou...
«Non non non non!!! Tu vas pas me commencer tes niaiseries encore à soir! Assit toi pis fini ton blé d'inde!»
«Non, moi papa j'aime mieux je fini pas mon blé d'inde»
Il pousse son assiette.
Je suis fatigué.
Ma blonde est jamais là, travaille 75 heures par semaine sur un navet américain qui va sortir direct en DVD, je me couche trop tard pour compenser le fait que j'ai pas de vie, je me lève en retard, j'arrive en retard, je fais ma job tout croche et dieu sait que c'est pas compliqué à faire comme job, je suis fatigué par cette mécanique désajustée, suffirait que je dorme, pourtant... marre...
Je dépose tout. Je le pointe du doigt, il s'immobilise, sent le vent tourner, le sac de chips est vidé.
«Bon, là mon ti-pet, ça va faire. T'ARCOMMENCERAS PAS TES NIAISERIES À SOIR! C'EST TU COMPRIS ÇA LÀ? T'assis tes tites fesses là, pis tu gruge ton asti dblé d'inde, OKKK??
Aprèèèèès, tu pourras me parler. »
Je suis moi même surpris de mon ton. Pas fier, mais pas si déçu non plus.
Il s'assied, gruge son maïs, se met a parler comme si de rien était.
Plus tard, il m'arrive et me dit « là papa, fais pas des niseries là.»
Bravo.
Il ne se souviendra peut être pas qu'il faut rester assit à table, mais il aura appris à être méprisant et négligeant avec ceux qu'il aime, comme je l'ai si bien appris moi même.
Vraiment, bravo.
10 commentaires:
Argh. La roue de l'éternel retour. Briser ces chaînes, c'est rompre avec presque tout. C'est un truc fantastique que tu en sois conscient, tu sais. Ensuite, tu peux attendre la bête là où elle a ses habitudes, une fois que tu sais son sentier dans la brousse, tsé ? Pis tu la pogne avant qu'elle soit hors contrôle. Ce que Castañeda appelait « devenir un chasseur ».
Paix, mon cher.
Paix.
:0)
Moi je te donne le droit d'être un peu bête. T'es le papa et la maman à l'heure du repas, faque ça se peut que tu ne trouve pas d'autres mots. Et il doit y avoir des règles... chez nous c'était la même chose, mes enfants se devaient de rester à table pendant le repas. Sinon je criais. Tu te trouves dur mais tu lui inculques des valeurs comme tu le peux avec ce que t'as. Des billets comme tu viens d'écrire, j'en ai écrit plein que je brulais au fur et à mesure tellement j'avais honte de moi. Toi, tu te regarde aller, tu te connais, t'as un bout de plus de travail personnel de fait.
En fait tout ce que je veux te dire c'est T'AS LE DROIT d'être exaspéré.
Calin virtuel!
J'ai pas d'enfant mais j'ai un peu d'ascendant sur ceux des autres. Rester assis, ne pas chipoter avec la bouffe, demander la permission avant de sortir, desservir son assiette, aider à la vaisselle, ranger le lait et apprendre à être serviable, tout ça, je le demande. Et parfois j'hausse le ton moi aussi. C'est pas facile éduquer. Et on le fait avec nos propres armes. Je suis sûre que t'es un bon père... même si t'en doutes parfois.
On sent ta fierté de papa à travers les billets ou tu parles de ton fil. Les lire me donne toujours un peu plus hâte de vivre ces moments, et « ça », c'en fait partie.
Content de ne pas vous avoir fait fuir avec mes réflexions.
Tout ce qui me vient en tête c'est cette chanson de Johnny.
J'ai commencé un texte en février ou mars, ché pu, qui parle entre autres de la bête en moi.
Je devrais l'avoir fini d'ici janvier. Soyez patient.
Faut vraiment juste que je dorme.
Tsé.
C'est pas la discipline qui fait que je me sens mal, que je revois mes aïeuls pas patient à travers mes travers, c'est la façons que je l'applique quand je m'endure plus, la discipline.
J'ai pas de problème avec le fait que j'ai parfois l'air de Pol Pot comparé aux autres parents mous qu'on croise au parc.
C'est juste que je sais quand je dépasse la ligne, et ça, vous avez bien raison, c'est déjà la moitié du problème de réglé.
Et pour cette raison, il est bien tombé, ton p'tit homme. D'après moi, il n'y a rien de plus important que ça. La plus belle preuve d'amour.
Ma mère opérait le dépanneur, de dix à dix sept jours sur sept, en plus de m'avoir dans les jambes, un flo de cinq ans, et ma soeur dans les bras, un bébé naissant. Un temps, on vivait dans le backstore, et j'y soupais toujours, seul, bien sage, sachant que je devais terminer mon assiette avant de quitter cette table, que ce soit un soir de bonne lasagne ou un soir de maudit foie de veau. Survint le soir où je me vis servir mon premier épi de maïs. Maman commença à s'inquiéter au bout d'une couple d'heures sans me voir reparaître, planta là ses clients et vint voir ce que je branlais. J'avouai, vaincu, que la partie jaune du blé d'Inde était plutôt à mon goût, mais que le truc blanc et dur au milieu me plaisait beaucoup moins. J'avais réussi à ronger et avaler la moitié du coton... Pauvre maman qui s'en voulait tellement. Tout ça pour dire que t'es dans la même cuisine que ton kid et que c'est précieux pour vous deux, peut-être. Il risque pas de gruger un os deux heures de temps ni toi de t'en vouloir pour avoir oublié de lui montrer comment bouffer du blé d'Inde.
Le pire, c'est que je suis fou de ça. Me semble que ça aurait dû m'écoeurer pour la vie. Chu maso. Mazola.
Héhé, merci pour l'anecdote, je l'ai ri longtemps.
T'es encore capable de manger le coton? Spa trop dur sur les dents?
Indeed. J'avais fait mon effort de guerre, de guerre de sécession d'avec l'obéissance aveugle, et l'Appomattox de ce conflit existentiel marqua le jour ou le coton et moi, c'était fini. Astheure, signe parmi cent de ma décrépitude, j'imite en cachette la méthode grand-paternelle: je déshabille l'épi au couteau a steak, détachant les grains en rubans tendres et juteux, et quand je veux vraiment m'éloigner de la nature, j'ouvre une canne en crème et je la torche avec une cuiller.
Enregistrer un commentaire