lundi 8 décembre 2008

Lâcher prise

Un matin pluvieux, gris et froid comme bien d'autre avant celui là.
Un peu de neige qui tombe.
Un peu de pluie.
Un peu de tout.
C'est gris, frette, c'est novembre.
Je pousse le tricycle de Fiston d'une main et je tiens mon vélo de l'autre.
C'est pas idéal de pousser à une main comme ça, s'il décide d'aller à droite ou à gauche, je ne peux pas trop l'en empêcher, à moins de laisser tomber mon vélo puis de reprendre le contrôle du tricycle.
Ce matin, il ne s'obstine pas, on avance tout droit.
On passe par la ruelle autant qu'on peut.
Arrivés sur Alma, faut quitter la ruelle et marcher sur Saint-Zotique.
On arrive au coin de Henri-Julien, la brigadière scolaire s'avance rapidement vers nous, brandit son panneau et nous fait traverser, nous la quittons.
Je lui dis merci.
Elle lance à fiston :
— Bonne journée mon grand!
Il reste silencieux.
— Tu réponds pas à la madame?
Non.
— Tsé, fils, quand on est ensemble et que les gens te disent bonjour, fait l'effort de répondre, un peu, au moins.

On continue.
Au moment de traverser la rue Drolet, un econoline blanc roulant sur St-Zotique semble vouloir s'engager sur Drolet. Il hésite, s'immobilise juste en face du dépanneur, il donne l'impression qu'il pourrait continuer tout droit ou tourner et nous couper le chemin.
Une roue du tricycle est déjà dans la rue au moment où la fourgonnette blanche s'immobilise complètement.
À l'instant où nous nous arrêtons nous aussi, une tercel bleu marine arrive en trombe et s'arrête à trois pieds de nous.
Une femme est au volant. Elle ne nous a pas vue.
Elle n'a d'yeux que pour l'econoline.

J'ai pas envie.
Pas envie ce matin de commencer tout de suite, là, maintenant, à avoir à penser pour les autres, à prévoir tout ce qu'ils feront avec leurs charriots fous.

J'attends.

Une seconde.
Deux secondes.
Trois secondes.
Elle doit ben nous voir, c'est comme rien.
Quoique, elle voit surement pas fiston,
il est à la même hauteur que le capot de son bazou bleu marin.

Quatre secondes.
Cinq secondes?

Je fais un pas.

Elle appuie sur l'accélérateur au même moment.
Ne nous avait pas vue, apparemment.

L'aile avant droite de son auto vient s'accoter sur la poignée gauche du tricycle.
Je tente de le retenir, le ramener vers moi, impossible.
Je le perds.
Je sens ma main qui lâche la poignée.
Je le sens partir!
Je vois la roue arrière gauche qui commence à se soulever...
S’il renverse, il se retrouve en plein milieu de la rue, sur le cul, probablement sous une tercel bleu marine.
Mon poing se ferme aussitôt que je perds la poignée et s'enfonce dans la tôle de la porte droite.
Je hurle tout ce que je retiens depuis 32 ans et je ne vois que cette minuscule roue se soulever encore un peu plus.
Je hurle mon impuissance.
Mon impuissance face à la Cité qui produit des femmes, des hommes, du monde, pressés de
retrouver leurs chaines qui les attendent au bureau, qui oublient le poids de leurs bazous, oublient la douceur des joues des enfants.
Je crie mon impuissance face à cette zombie qui voudrait partir avec la seule chose que j'ai faite de bien en 32 ans.

Mon cri est couvert par un, deux, trois klaxons.
Des crissements de pneus.

Elle s'arrête.
La roue retombe sur l'asphalte.

Je suis immobile. Tétanisé.
Je tiens encore mon vélo.
Ma main libre reprend vite la poignée du tricycle.

La femme est sortie de son auto, s'approche de nous.
Se penche vers fiston.
— Oh mon dieu, mon petit ange! je t'avais pas vue, c'est à cause du monsieur qui bloquait le chemin là!

Il était à gauche le camion, nous étions à droite.
Je lui ai peut-être dit. Probablement pas. Je sais plus.
Je m'étais toujours dit qu'advenant qu'un chauffard fonce sur la poussette du petit, j'égorgerais le chauffard.

Pas cette fois.
Je suis muet, tremblant, complètement déçu, coupable d'avoir fait ce pas.
Un pas.
Pour me dépêcher, arriver plus tôt à la job, retrouver mes chaines.

Je ne suis qu'un engrenage.
Engrenage qui entraine ceux qu'il engendre sous les roues des charriots fous et qui se demande comment il racontera ça sur son blogue.

***

La femme est partie après s'être excusée pendant une minute et demie.
Quelques autos se sont arrêtées, s'enquérant de l'état de Fiston.
— À vous â jamais vue!

Nous avons traversé la rue Drolet.
Une fois sur le trottoir je me suis arrêté, j'ai finalement lâché mon vélo,
me suis finalement penché pour enlacer mon fils.
Me suis mis à pleurer.
— Ça papa, on va le raconter à maman quand on va retourner à la maison, han papa?
— Oui, oui. On va le raconter à maman.

13 commentaires:

s.gordon a dit…

Ostis de sans-dessins du cul du colice, crétins pressés pas de cervelle au volant!

J'ai eu peur en lisant tes mots, à matin. Je descendais les paragraphes, pis j'aimais pas ça du tout.

Anyway. Ostie de bêtise humaine.

Anonyme a dit…

Moi aussi ,
Plus je descendais et plus l'angoisse montait !

" Connerie " de bétise humaine et d'aveuglement !!

Je vous enlacerais bien là tous les deux , tellement finalement j'ai eu peur ...
ça va vous deux , maintenant ?

Gomeux a dit…

Oh oui, ça va nous deux.
Ça fait déjà deux semaines de ça.
J'en tremble encore en le racontant.

Au moins, Fiston c'est pas trop rendu compte du danger. À chaque fois qu'il raconte l'histoire, il dit que c'est moi qui s'est fait frapper, à cause du cri et du boum dans la tôle, j'imagine.

C'est aussi bien comme ça.

Doparano a dit…

Comme les deux autres j'avais peur plus j'avancais dans ma lecture. J'ai ben fait de ne pas me maquiller à matin.

Pis j'ai souris en lisant la fin... comme si ton fils et toi cachiez certaines choses à ta douce mais pas celle là, c'est trop gros à cacher.

gaétan a dit…

Cibole ça remue ce que tu racontes!

Yvan a dit…

Ça tient qu'à un fil votre histoire.
Soulagé je suis,Gom.
Le monde sur la route,
c'est devenu dé-bi-le.

Anonyme a dit…

Fils qui a aujourd'hui 20 ans a vraiment beaucoup roulé en vélo ( oui deux roues... ) dans les ruelles et les rues de Montréal à partir de l'âge de 3 ans. Sécurité oblige, j'étais le grand commandeur et il avait affaire à obéir à son pére quand il roulait en vélo. Un jour alors que nous roulions sur le trootoir le long du boulevard Saint-Laurent, je l'ai devancé pour bloquer le passage à un éventuel automobiliste qui aurait pu vouloir tourner à droite. Et justement vla tu pas qu'un véhicule de type SUV s'immobilise devant moi qui bloque le chemin alors qu'il veut tourner à droite. Une seconde et quart plus tard, fils passe en vélo. Le gars du char ouvre sa porte. je pensais bien qu'il allait m'engueuler. Mais non, plutôt il me crie presque: "C'est beau le grand, à ta place j'aurais fait pareil"

Miléna a dit…

Moi aussi j'ai eu la frousse. Je me suis dit que je pourrais être cette madame qui ne voit pas ce qui s'en vient (même si je redouble d'attention quand je roule dans le quartier St-Jean-Baptiste). Suffit parfois d'une poussière de seconde, d'un éclat lumineux dans une vitre ou d'un camion qui bloque la vue pour que tout bascule.

Mek a dit…

Glp. Mon esti tu m'as encore chté à terre.

Gomeux a dit…

Do: Héhé, je vois pas trop de quoi tu parles, comme ssi on faisait des cachettes, tsé... Hihi!

Gaétan: Ouan, ça remuait à écrire itou. Brr...

DAn: Étonnant, de la politesse dans un SS.U.V.

Yvan: Ouan, le monde est sul gros nerf.

Miléna: Bien d'accord. La femme en question par contre regardait juste à gauche. C'est un choix j'imagine...

&: Désolé, héhé.

cdn a dit…

sacrament

McDoodle a dit…

C'était donc ça, le signe de l'écureuil avec une trace de pneu dans l'dos.

Gomeux a dit…

Oui.
Une queue d'écureuil au vent comme ça, avec le reste du corps écrapouti, c'est pas bon signe.