Le mois d'octobre a l'habitude de me rendre morose et on dirait bien qu'il est arrivé en avance cette année.
Suis allé diner avec Mendelien, histoire de se gratter la tête sur divers sujets et de lui remettre sa copie de Who Paid the Piper de Frances Saunders.
Il m'a appris que les médias avaient annoncé que nous étions grosso modo en pleine crise économique similaire au crash de 29.
Ça m'a glacé le sang.
Si leur logique tient, d'ici un an ou deux, ils vont nous annoncer que tel pays a envahi celui-là, que tel sieur a été assassiné, que ça ne peut plus durer. Et boum.
Dans un monde où la plupart des penseurs lisent à moitié, réfléchissent à moitié, et ce, toujours dans le cadre bien établi qu'on leur fourni, c'est à dire, une gauche forgée par les mêmes gens qui forgent la droite, ça devient épuisant de tenter de faire penser des gens potentiellement brillants en dehors de la boite.
Autrement dit, ça m'a crissé le cafard ce diner.
Je revoyais en boucle tous ces cauchemars accumulés au fil des ans, des rêves où je fuis, je cours et je me cache de tel ou tel ennemis, c'est la guerre et je me réveille affolé.
Verrai-je un jour ces rêves au plein jour? Avec ma petite famille? Vais-je me réveiller cette fois-là?
Ça me tentait soudainement moins de bruler du gaz avec ce char de job, ça ne me tentait plus de travailler tout court.
J'ai essayé d'écouter les nouvelles de la radio d'état, y avait madame Giroux qui présentait une chanson, je l'ai reconnu instantanément puis écouté, en attendant les nouvelles.
Une phrase dans la chanson m'a sauté dans la face pour la première fois, d'une façon différente :
«Maintenant qu'est arrivé le soir, qui sait l'endroit où on ira,
chose certaine nous n'irons pas cueillir la fleur au fond des bois ».
Les nouvelles ont commencé, on parlait d'une fusillade à Toronto.
Je suis sorti du char. Pas rassuré.
Pendant les vacances, un soir de pleine lune, j'étais seul sur le bord du feu.
J'ai pris cette photo.
Quinze minutes plus tard, un F-18 passait juste au-dessus du Fleuve, en dessous de la Lune.
Un autre quinze minutes plus tard, il en passait quatre de plus.
Me suis dit trois choses.
— Crisse que ça fait du bruit.
— Le premier qui a passé était en avance parce qu'il devait avoir envie de pisser, oubedon il avait gagé cinq piasses qu'il arriverait avant tout le monde à Bagotville.
— Puis je me suis dit que ça prendrait pas grand-chose pour convaincre le monde d'aller en guerre. Chatouiller une susceptibilité ici ou là, accuser un agresseur ici ou là, et voilà, mettez vos bottes.
Suis allé me coucher ce soir-là, sous la toile, la Lune et les étoiles.
L'oreille tendue, au cas.
Pas rassuré.
***
Juste après le souper, tantôt, Enza la voisine est passée.
Elle a ouvert la porte sans vraiment cogner, comme elle en a pris l'habitude, en faisant entrer Dany et en criant le nom de Douce. Je lui ouvre la porte, elle me dit que Nicolas est mort, comme ça, tout bonnement, comme la fois qu'elle nous disait que sa mère avait un cancer généralisé.
Bon.
À croire que c'est un complot des agents immobiliers...
C'est le quatrième qui meurt cette année, juste sur notre rue.
Y a pas une van de Remax parquée dans le coin en permanence mais c'est ben yenk.
Nicolas, c'était le genre de monsieur que j'aimerais être plus tard, si on m'en laisse la chance.
Le monsieur qui passe dans la ruelle avec son triporteur, que tous les enfants saluent, «NICOLAS!!», qui fait pafouin pafouin avec son klaxon de triporteur, qui dit allo allo sur le même ton.
Qui dit, avez-vous été gentil? Mouiiii! Attendez, je reviens, va au marché, OK?
Et il revient.
Pafouin pafouin!
Allo allo!
Il est là, un jour avec un sac de cerises, une autre fois avec des pruneaux. «Faut les laver hein là là! Ok, Ciao!» «Qu'est ce qu'on dit les enfants?» «Graziiiie!»
La dernière fois c'était des prunes.
Il avait l'air en pleine forme, jasait avec les briqueteurs qui retapaient la maison l'autre bord de la rue, il prenait soin de sa femme Pina et saluait Fiston, «Forza, forza!» Pédale le jeune!
Ça fesse en esti un cancer de la prostate on dirait ben.
Salut Nicolas.
Grazie.
***
Conclusion de la critique de Who Paid the Piper que j'ai mis en lien, plus haut, comme quoi c'est pas tout le monde qui pense avec ses pieds, quand même, y a de l'espoir.
Désolé pour le rosbif, ça me tente médium d'assaisonner ça en français là là là.
The singular lasting, damaging influence of the CIA's Congress of Cultural Freedom crowd was not their specific defenses of U.S. imperialist policies, but their success in imposing on subsequent generations of intellectuals the idea of excluding any sustained discussion of U.S. imperialism from the influential cultural and political media.
The issue is not that today's intellectuals or artists may or may not take a progressive position on this or that issue. The problem is the pervasive belief among writers and artists that anti-imperialist social and political expressions should not appear in their music, paintings, and serious writing if they want their work to be considered of substantial artistic merit.
The enduring political victory of the CIA was to convince intellectuals that serious and sustained political engagement on the left is incompatible with serious art and scholarship. Today at the opera, theater, and art galleries, as well as in the professional meetings of academics, the Cold War values of the CIA are visible and pervasive: who dares to undress the emperor?
Calisse de tabarnac, ça fait du bien à lire.
Trouvez pas?
7 commentaires:
Octobre ne te va quand même pas si mal tsé :)
Oui, ça fait du bien à lire. Pis après on voit les câbles du décor partout.
tu m'as quand meme foutu les cafards avec tes images de guerre... je m'imaginais Londres, sous les bombes... cauchemar
Merci Do, c'est pas octobre, encore, finalement!
Onirique, bienvenue chez nous!
Je voudrais pas être défaitiste, mais je suis pas trop optimiste quand à l'avenir des choses...
É, dude, y a dans ces trois paragraphes, tout ce qui me révulsait, et me révulse encore, de l'art visuel.
Ce discours bâti, incompréhensible, masturbatoire, par des gens déconnectés et satisfait.
Ces regards, les yeux qui roulent, ces soupirs à chaque fois que tu présente un projet moindrement engagé...
Qui osera donc déculotter l'empereur?
Sais pas.
Y en a un asti de gang qui préfère prendre des photos de gens qui réfléchissent dans leurs cuisines en tout cas.
À Concordia, c'était terrible. Y avait un genre de KGB de facto du désengagement global. Bénévole, en plus. La mode, quand j'y étais ? Des œuvres en Finlandais ou en vieux dialectes-bullshit de fin fond de continents que trois vieux sages parlent encore. Pas de danger qu'on en sorte fru ! Baaah.
Anecdote de f-18.
On est 3 chums qui se payent un trip de pêche. 45 min. de beaver au nord de fermont. Sur l'heure du midi un bruit incroyable. J'envisage sérieusement la possibilité de fin du monde. Puis surgissant de derrière la montagne un avion de chasse de l'armée survolant en rase-motte. Tellement rase-motte que je distinguais sa silhouette. J'ai eu mal aux tympans le reste de la journée à cause de ce connard. S'en allait probablement à Goose Bay. Sont vraiment partout...
Fais donc un post avec la bonne nouvelle au lieu de faire freaker le monde. Mon fils est à l'autre bout du pays, proche de la base conservatrice. Allez, crache le morceau d'espoir pour la suite du monde...
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